Date |
Lille,
le 30 mars 1998 |
Destinataire
|
Madame
Dominique VOYNET, ministre de l'Environnement et de l'Aménagement
du Territoire |
Madame
la Ministre,
Par la présente, je souhaite attirer votre
attention sur l'actuelle faible portée des moyens mis en oeuvre, dans
le cadre du dispositif français, pour une valorisation des déchets d'emballages
ménagers telle que prévue dans la directive européenne 94/62/CE.
L'analyse
des documents remis par Adelphe et Eco-Emballages lors de la réunion de
la Commission Consultative du 11 février dernier appelle plusieurs réflexions
quant au perfectionnement du système issu du décret et fondé principalement
sur l'activité des sociétés agréées.
Dans
une recherche constante de progrès et d'amélioration, les réflexions du
Cercle National du Recyclage sont
présentées ci-après suivant cinq constats qui sont autant de sujets d'amendements
et d'adaptations en vue d'une dynamisation effective du recyclage en France
:
1. caractérisation
incertaine de la production de déchets d'emballages ménagers ;
2. limite de la prise en charge de la responsabilité de leurs producteurs
;
3. efficacité relative des sociétés agréées ;
4. dispersion dans la redistribution des contributions perçues ;
5. absence de lisibilité des perspectives.
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1. Toujours considéré
pertinent par notre association puisque basé sur des principes de partenariat,
de pragmatisme et de progressivité, le dispositif français de valorisation
des déchets d'emballages ménagers se traduit concrètement par un transfert
de charge du contribuable local au consommateur. Les sociétés agréées
perçoivent auprès de leurs adhérents industriels qui mettent sur le
marché des produits emballés, une contribution et assument alors leur
responsabilité dans l'élimination des déchets d'emballages. Les sommes
collectées sont ensuite reversées aux collectivités locales en fonction
de leurs efforts dans la mise en place d'une gestion moderne des déchets
d'emballages.
Ainsi, la contribution des consommateurs, par l'intermédiaire des entreprises
et des sociétés agréées, doit permettre la prise en charge de la majeure
partie des coûts inhérents à la mise en place de la collecte sélective
et du tri par la collectivité.
Dans ce contexte, la mesure fiable de la production d'emballages ménagers
est déterminante pour fixer la valeur du gisement de déchets d'emballages
ménagers à considérer.
Malgré l'appel
récurrent du Cercle National du Recyclage,
nous remarquons que le gisement de référence considéré par la société
agréée Eco-Emballages dans le document remis lors de la réunion de la
Commission Consultative varie encore d'une année à l'autre, semant cette
fois la confusion entre les tonnages d'emballages mis sur le marché
et ceux des déchets d'emballages ménagers : évalué à 3 300 000 de tonnes
en 1996, le gisement considéré aujourd'hui atteint 3 900 000 de tonnes.
Rappelons qu'en 1995, la base de référence utilisée par la société Eco-Emballages
était alors constituée des emballages ménagers collectés et valait 6
000 000 tonnes .
Si la base de
référence ne cesse de varier, l'appréciation de la montée en puissance
du dispositif en devient complexifiée. Il est donc grand temps d'arrêter
une méthode de mesure de la production de déchets d'emballages ménagers.
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2. Malgré le
passage de la notion de surcoût à celle de coût supporté par tous les
acteurs de la gestion des déchets d'emballages ménagers, l'appréhension
de la prise en charge de la responsabilité par les producteurs reste
complexe et difficile.
Représentant la participation des producteurs et conditionneurs dans
l'élimination de ces déchets, les sommes redistribuées aux collectivités
sous forme de soutiens au fonctionnement par les sociétés agréées sont
aujourd'hui insuffisantes pour être considérées comme une réelle incitation
à s'investir dans la voie de la valorisation matière. Les contributions
perçues sont également insuffisantes pour représenter la part de responsabilités
qui incombe aux entreprises dans la gestion des déchets d'emballages
ménagers.
Rappelons que, suivant le décret 92/377 du 1er avril 1992, la prise
en charge par le conditionneur serait intégrale dans le cas où il choisit
de pourvoir à l'élimination des déchets d'emballages générés par ces
produits, par le biais de la consignation ou d'un circuit de séparation
interne.
Une plus grande prise en charge par les conditionneurs du coût de collecte
et de tri supportés aujourd'hui par les collectivités serait alors la
traduction concrète du respect par les conditionneurs de leur obligation
d'élimination.
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3. Garants vis-à-vis
de nos partenaires européens de l'application de la directive 94/62/CE
relative aux emballages et déchets d'emballages, les Pouvoirs Publics
français voient leurs responsabilités dispersées au sein du dispositif
national entre l'Etat (plans départementaux), les sociétés agréées (suppléant
les industriels) et les collectivités locales.
Considérées comme les agents de la réalisation de l'objectif réglementaire,
les sociétés agréées sont aujourd'hui les garantes du développement
de la valorisation des déchets d'emballages ménagers en France. Toutefois,
au vu des résultats obtenus à mi-chemin de l'échéance prévue en 2002,
on peut craindre que les sociétés agréées, instrument principal du dispositif,
ne soient pas le moyen nécessaire et suffisant pour atteindre l'objectif.
En effet, d'après le bilan 1997 et les perspectives 1998 de la société
Eco-Emballages diffusés lors de la réunion de la Commission Consultative,
nous remarquons que le nombre de collectivités contractantes augmente
chaque année. La population sous contrat suit également cette progression
mais de façon plus modérée (le nombre d'habitants par communes étant
de plus en plus faible ). La population trieuse, quant à elle, s'accroît
considérablement en 1998 .
Il nous paraît alors surprenant que le tonnage valorisé comptabilisé
par la société agréée ne suive pas cette progression. Ramené au nombre
d'habitants trieurs, le tonnage valorisé baisse sensiblement depuis
1997 . Les habitants trieurs des nouvelles collectivités contractantes
n'étant pas moins efficaces que ceux des collectivités précédentes,
comment expliquer que l'évolution du tonnage valorisé ne bénéficie pas
de la montée en puissance du dispositif ? De la même façon, on peut
s'interroger quant à l'efficacité de l'activité d'Adelphe car la restriction
concernant le domaine d'activités de ses adhérents limite le niveau
des contributions perçues. En effet, les ressources disponibles par
Adelphe ne suffiront plus pour subvenir aux dépenses prévisionnelles
au titre du soutien à la tonne triée et à la communication.
Par ailleurs, si on considère que malgré la complexification du système
la présence de deux sociétés agréées reste fondée, les mêmes règles
de fonctionnement doivent y être appliquées avec en particulier une
même définition du domaine d'intervention.
Enfin, l'observation actuelle d'une certaine dérive dans la nature des
relations entre Eco-Emballages et les collectivités locales nous paraît
préoccupante. Principal agent opérationnel de la réalisation de l'objectif,
Eco-Emballages s'arroge aujourd'hui le monopole de l'exercice d'une
mission de service public tout en présentant les collectivités contractantes
comme ses prestataires .
Ce changement de positionnement de la société agréée dans ses relations
avec les collectivités locales engendre de nouvelles contraintes pour
ces dernières, tant sur le plan des choix à opérer dans la collecte
et le tri que de la qualité des matériaux à mobiliser. Cette déviance
va, de plus, à l'encontre des fondements même du cadre législatif français
qui réglemente les obligations des communes ou des groupements de communes
en matière de collecte et d'élimination des déchets ménagers (loi 75-633
du 15 juillet 1975, décret 77-151 du 7 février 1977). Les collectivités
ne doivent pas être victimes de leur engagement et subir une augmentation
régulière de leurs charges par transfert d'activités économiques privées.
Répondant de l'engagement de la France dans la valorisation des déchets
d'emballages ménagers, les Pouvoirs Publics doivent rapidement renforcer
leur contrôle sur les moyens mis en œuvre dans la perspective de respecter
la directive européenne et ses transpositions françaises.
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4. En plus de
la dispersion des responsabilités identifiée dans le dispositif français
de valorisation des déchets d'emballages ménagers, nous constatons également
un éparpillement des actions menées par les sociétés agréées, actions
de plus en plus éloignées de la mission principale qui leur a été confiée.
Conformément à l'arrêté d'agrément qui encadre leur activité, les sociétés
agréées contractent avec les producteurs et conditionneurs afin d'assumer
l'obligation de valorisation des emballages ménagers pour lesquels ils
contribuent. Cette prise en charge se traduit par la mise en œuvre de
programmes d'actions en rapport étroit avec cette mission.
Manifestant la volonté d'accélérer son programme, la société anonyme
Eco-Emballages souhaite pourtant s'investir encore et autant dans des
missions qui ne sont pas en lien direct avec l'objet de son agrément
ni ne contribuent à l'incitation des collectivités locales à s'engager
dans la collecte sélective comme le montre le document distribué le
11 février dernier aux membres de la Commission Consultative :
- hausse de
près de 60 % des dépenses en faveur des filières pour la R&D entre
1997 et 1998 ;
- participation
active et financière au Conseil National de l'Emballage ;
- formation
des acteurs locaux ;
- participation
à la création d'emplois sur des métiers nouveaux ;
N.B. : les deux derniers points sont considérés par Eco-Emballages
comme des priorités pour l'année 1998.
Ces actions annexes sont également financées par les contributions
des producteurs reçues au titre de leur participation à la valorisation
des déchets produits par la mise sur le marché de leurs emballages.
Ce sont autant de contributions qui ne sont pas redistribuées aux
collectivités locales pour les aider dans leur mise en place d'une
meilleure gestion des déchets.
Au vu des actuels résultats et des objectifs ambitieux de valorisation
pour les prochaines années, indispensables dans la perspective de
réalisation de l'objectif européen, il faut impérativement que les
sociétés agréées se recentrent sur leur mission première.
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5. Enfin, malgré
la signature de contrats d'une durée de six ans qui précisent les étapes
de la montée en puissance dans la mise en place de la collecte sélective,
la société Eco-Emballages montre quelques difficultés à estimer le bilan
de l'année écoulée.
Le budget 1997 estimé en septembre 1997 prévoyait un déficit de 17 millions
de francs ; le même budget présentait en février 1998 un excédent de
plus de 100 millions de francs. Il n'est pas sérieux pour une société
privée agréée par les Pouvoirs Publics de proposer une nouvelle estimation
de budget variant de près d'un quart du montant du budget total sur
le premier budget présenté et ce, cinq mois seulement après la première
estimation. Comment alors apprécier les prévisions pour l'année 1998
et les perspectives de réalisation de l'objectif en 2002 ?
Les objectifs pour 1998 de l'activité d'Eco-Emballages se veulent ambitieux.
Pour les réaliser et sous la pression des collectivités locales, la
société anonyme a proposé le principe d'une modulation du barème de
soutien aux collectivités locales dès cette année . Ainsi, le compte
de résultat fait apparaître en 1998 " le premier déséquilibre annuel
", les charges d'exploitation l'emportant sur les produits de 86,6 millions
de francs.
Outre le fait que les excédents annuels d'environ 245 millions de francs
des quatre exercices précédents ne sont pas considérés comme de véritables
déséquilibres par Eco-Emballages, il est à noter que la société ne semble
pas avoir prévu la répercussion de la modification du barème aval sur
le montant des soutiens à verser aux collectivités locales. En effet,
l'évolution du soutien aux collectivités suit la même progression depuis
quatre ans sans que soit visible en 1998 une hausse sensible, traduction
concrète de l'augmentation des sommes distribuées aux collectivités
locales.
Il nous semble alors clair que la société Eco-Emballages envisage une
simple adaptation des conditions de redistribution et non pas une augmentation
du soutien financier à distribuer aux collectivités locales.
De la même façon, il est à déplorer que la proposition par Eco-Emballages
d'une nouvelle structure du barème producteur pour 1998 repose uniquement
sur l'intégration de la prévention et non pas sur le respect de son
cahier des charges qui imposait une proposition en mars 1997, de nouveau
repoussée en décembre 1997. Ce barème ne devrait pas entrer en application
avant l'an 2000, bafouant encore le principe de progressivité. Si elle
n'avait pas été retardée, la rénovation du barème amont aurait permis
d'éviter le déséquilibre financier de la société agréée programmé non
seulement pour l'année 1998 mais également pour les années suivantes.
Par ailleurs, le différé de l'augmentation du barème producteurs ne
peut être expliqué par le reversement " étalé " de l'importante provision
accumulée depuis quatre ans par la société agréée. De fait, si comme
le justifie la S.A., la provision s'explique comme constitutive d'un
fonds de garantie des soutiens à distribuer aux collectivités, la somme
n'est plus disponible pour financer ces mêmes soutiens. La provision
constituée ne doit pas être utilisée pour pallier la faiblesse des contributions
en regard de l'augmentation constante des dépenses.
Enfin, le barème producteurs devant être appliqué par toutes les sociétés
agréées, quel est le devenir d'Adelphe si le barème n'est pas rénové
au plus tôt ? La société ayant équilibré ses finances à chaque exercice,
elle devrait alors limiter son activité auprès des collectivités locales
par manque de trésorerie.
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A
la veille de négociations entre tous les acteurs impliqués et dans l'optique
d'une adaptation du fonctionnement du dispositif national de valorisation
des déchets d'emballages ménagers, le Cercle
National du Recyclage souhaite aujourd'hui par l'établissement
de ces constats poser les bases d'une réflexion préalable.
Au
nom des adhérents du Cercle National du Recyclage,
je sollicite donc un examen attentif de la situation actuelle et du bilan
de quatre années de fonctionnement du dispositif issu du décret du 1er
avril 1992. Pour que puisse être saisie l'occasion d'enclencher une véritable
dynamique du recyclage, il convient de placer cette analyse dans une perspective
de progrès et d'améliorations. Fidèle à son objet de représentation des
intérêts des collectivités locales, notre association souhaite une meilleure
prise en compte des réalités financières inhérentes à la modernisation
de la gestion des déchets ménagers.
Je
vous serais reconnaissant de bien vouloir nous faire connaître la position
des Pouvoirs Publics sur ce sujet.
Dans l'attente, je vous prie d'agréer, Madame la Ministre, l'expression
de ma considération et de mes sentiments dévoués.
Paul
DEFFONTAINE
Président
Maire de Willems
Vice-Président de la Communauté urbaine de Lille
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